«Contre la culture du clash» d’Antoine Vuille
Ne vous faites pas d’illusions, ce livre ne servira à rien pour combattre la culture du clash. Le problème, c’est qu’il y a des gens posés qui réfléchissent (comme moi). D’autres qui sont simplement malades et qui balancent des affirmations péremptoires. Et pour couronner le désastre, il y a des philosophes qui pensent changer le monde.
J’ai beaucoup aimé le livre Contre la culture du clash. Débat d’idées et démocratie par Antoine Vuille chez Eliott Éditions. En lisant mon paragraphe introduction, vous vous doutez que j’ai parfaitement intégré les thèses du bouquin…
Pour en savoir plus sur le livre ou pour entendre son auteur, je vous conseille:
- Le débat démocratique contre la «culture du clash»
- Réapprendre à débattre
- Débattre sans clash pour le bien de la démocratie
Ces références sont bien plus pertinentes que ce que je vais vous dire dans ce billet. Lisez le bouquin plutôt que de me lire, à moins que la question de la vulgarisation vous intéresse.
J’avais besoin de la publication de Remarques sur la vulgarisation pour présenter plus clairement mon propos. Une lecture préalable de mes lignes sur ce sujet pourrait être utile.
Livre vraiment accessible(?)
Le livre est bien écrit, les propos clairs, les exemples parlants. C’est agréable à lire. Les transitions sont très bien construites et les rappels des arguments déjà présentés sont toujours utiles. C’est vraiment de la belle ouvrage.
Et pourtant, j’avais une impression diffuse que tout n’était pas aussi simple. Le vocabulaire n’est pas toujours accessible. Je n’ai aucune idée du pourcentage de la population à l’aise avec «rhétorique», «corollaire», «dialectique» ou «épistolaire» qui apparaissent sans explication dans les premières pages.
Mon impression, c’est que c’est un ouvrage:
- très compréhensible à partir d’un certain niveau de formation (il permet une lecture fluide qui rend justice à la qualité du propos)
- mais très difficile sans disposer d’un bagage minimal de vocabulaire ou de concepts
Ce qui m’a interpellé, ce que les présentations du livre (en lien plus haut) laissent entendre que c’est un livre facile d’accès. Je les ai en tout cas reçues ainsi. C’est certainement le cas pour les journalistes et leur formation universitaire, pour le philosophe qui publie une recension… ou pour un théologien avec un semblant de bagage intellectuel.
Ce n’est pas un problème en soi. Mais le seuil du vocabulaire est peut-être un peu haut. Je rechigne donc à dire que c’est un livre pour «tous les publics».
Si les 4 gros mots ci-dessus ne vous font pas peur, foncez!
Vulgariser la philosophie
Contre la culture du clash m’a passionné parce qu’il est une excellente vulgarisation de la philosophie.
Je vous propose ce paragraphe de la dernière page du livre:
Dans cet essai, j’ai tenté de constituer une mosaïque cohérente en mettant en relation des considérations sur la structure logique des arguments, sur l’attitude intellectuelle qu’il convient d’adopter dans une débat et sur la légitimité des décisions démocratiques. Ces trois champs de réflexion sont traditionnellement isolés les uns des autres: les logiciens s’occupent de la structure des arguments, les épistémologues réfléchissent aux vices et aux vertus intellectuels et les chercheurs en philosophie politique s’intéressent aux différents modèles de démocratie.
En réfléchissant à la vulgarisation théologique, je défendais une démarche similaire. La différence entre Antoine Vuille et moi, c’est que disait ce qu’il fallait faire (en théologie), alors qu’il a fait (en philosophie) ce qu’il fallait.
En vérité, ce n’est pas tout à fait exact. L’auteur n’a pas vulgarisé la philosophie universitaire, mais il a clairement donné à comprendre les enjeux d’une réflexion philosophique large.
Ni vous ni moi n’aurons sa clarté ou sa rigueur en refermant son livre. Vulgarisation n’est pas didactique, comme je l’écrivais hier. Mais nous aurons une idée des méthodes de la philosphie, de leurs raisons, de leurs enjeux. C’est précieux.
Nous pourrons aussi revenir à ce livre en tant que référence quand nous serons perdu·e·s dans les argumentations douteuses ou pris·es dans le clash.
Responsabilité dans le débat démocratique
Pour reprendre la suite du paragraphe déjà cité de la dernière page:
Mon but était donc de décloisonner ces trois domaines théoriques en les mobilisant ensemble contre la culture du clash. J’ai ainsi proposé un éventail de concepts et d’outils théoriques complémentaires qui permettent, je l’espère, de souligner l’importance de prendre au sérieux les idées auxquelles on n’adhère pas. Cette attitude, déjà cultivée par la philosophie académique, mérite de retrouver sa place au cœur de la Cité.
Je répondrai à Antoine Vuille: but atteint. Je pense que ce genre de décloisonnement peut donner envie d’étudier la philosophie. C’est important. Le livre aurait pu s’appeller Pour la culture philosophique. Éloge de la clarté.
En tout début de ce billet, j’écrivais sur un ton ironique:
Ne vous faites pas d’illusions, ce livre ne servira à rien pour combattre la culture du clash.
C’est complètement vrai. Je ne me fais que peu d’illusions sur notre capacité d’appropriation des outils proposés à la lecture En tout cas, je ne suis pas capable de les intégrer en un passage.
Mais c’est aussi complètement faux. La démarche d’Antoine Vuille est en soi fondamentale contre la culture du clash. Son attitude responsable en tant que penseur, chercheur, scientifique, enseignant et citoyen est plus qu’utile. Elle est nécessaire.
Bonne lecture!